Vous me proposez de ralentir le temps, de vous rejoindre à Kiméria, dans votre domaine de Toscane, et d’y vivre une vie entière à vos côtés, en un seul voyage, dans le simple cillement d’un intervalle de réalité.
Mais, cher Dottore, mon ami, que nous resterait-il à vivre ensuite, dans nos prochains séjours ? Faudrait-il atteindre la fin? De nous, de vous, de moi.
Je le sais, les journées s’égrèneraient alors comme les vagues de la Méditerranée, éternellement semblables et différentes, douces et épicées. Goût salé du plaisir tranquille.
Dites-moi où je trouverais - après - la force de revenir au Monde, à mon siècle, à ma vie, à ma fille, à ce combat que je mène pour défendre la liberté d’exister en toute conscience dans les 3 Espaces.
Ne finirais-je pas par céder à la tentation kimérienne et à migrer ? Devenant moi-même un rêve, un récit, brisant le temps cyclique (un jour, un autre, le même) que je crée lors de mes voyages, m’aliénant aux rythmes de cet ailleurs onirique - si volatiles, si curieux, véritables sirènes - et provoquant une longue absence, aussi longue que la vie elle-même. Ce serait une désertion.
Votre temps naturel s’articule en réseau. Vous utilisez des points de jonction pour vous déplacer entre les époques et les espaces. Vous n’êtes pas soumis aux mêmes risques que moi. Vous m’apprendrez, dites-vous. Mais je n’ai jamais entendu, dans aucune rumeur, que quiconque l’eût appris. Le temps réticulaire est une aptitude, pas une initiation.
Au Dottore Pi
Type de document : correspondances
Auteur fictif : Capitaine L
Auteur réel : Carole Lipsyc
Provenance du texte : Noyau liminaire
Commentaires : aucun
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Il m'a retrouvée.
Après tant d'années, il m'a retrouvée.
Et tous ces souvenirs sur lesquels j'avais bâti mon écriture, toute la légende de l'adieu, de la séparation, de l'absolu / l'errance de lui que j'ai vaillament transformée en exploration des 3 Espaces / le déchirement qui est devenu sillon, qu'en restera-t-il ?
Vient-il brandir l'épée incandescente ?
En est-il capable ? En ai-je envie ?
Suis-je prête à oublier que je suis Capitaine ?
A-t-il seulement entendu parler du voyage ?
Peut-il imaginer qui je suis…
Lui-même, est-il …
Je dois faire attention. Trop d'émotions, trop d'obsessions, inhibent ma capacité au voyage. Et, je ne peux pas me permettre de baisser ma vigilance.
Type de document : carnets personnels
Auteur fictif : Capitaine L
Auteur réel : Carole Lipsyc
Provenance du texte : Noyau liminaire
Référence : La Espada Encendida, Pablo Neruda
Commentaires : 1
Textes satellites : 1