Vous me proposez de ralentir le temps, de vous rejoindre à Kiméria, dans votre domaine de Toscane, et d’y vivre une vie entière à vos côtés, en un seul voyage, dans le simple cillement d’un intervalle de réalité.
Mais, cher Dottore, mon ami, que nous resterait-il à vivre ensuite, dans nos prochains séjours ? Faudrait-il atteindre la fin? De nous, de vous, de moi.
Je le sais, les journées s’égrèneraient alors comme les vagues de la Méditerranée, éternellement semblables et différentes, douces et épicées. Goût salé du plaisir tranquille.
Dites-moi où je trouverais - après - la force de revenir au Monde, à mon siècle, à ma vie, à ma fille, à ce combat que je mène pour défendre la liberté d’exister en toute conscience dans les 3 Espaces.
Ne finirais-je pas par céder à la tentation kimérienne et à migrer ? Devenant moi-même un rêve, un récit, brisant le temps cyclique (un jour, un autre, le même) que je crée lors de mes voyages, m’aliénant aux rythmes de cet ailleurs onirique - si volatiles, si curieux, véritables sirènes - et provoquant une longue absence, aussi longue que la vie elle-même. Ce serait une désertion.
Votre temps naturel s’articule en réseau. Vous utilisez des points de jonction pour vous déplacer entre les époques et les espaces. Vous n’êtes pas soumis aux mêmes risques que moi. Vous m’apprendrez, dites-vous. Mais je n’ai jamais entendu, dans aucune rumeur, que quiconque l’eût appris. Le temps réticulaire est une aptitude, pas une initiation.
Au Dottore Pi
Type de document : correspondances
Auteur fictif : Capitaine L
Auteur réel : Carole Lipsyc
Provenance du texte : Noyau liminaire
Commentaires : aucun
Textes satellites : 1
Tu me demande où j'étais... Tu t'étonnes... Oserai-je te le confier...
J'ai plongé tête la première, comme une novice...
J'ai oublié toutes les règles de prudence, toutes mes expériences, tous mes principes.
...
J'ai rencontré un Enchanteur, un Hollandais Volant peut-être, un Mage. Et je l'ai suivi. Sans hésitation. Sans m'inquiéter, du Temps, du Vrai, du Juste, des illusions, de rien. Sans aucune question, sans aucune vision. Je l'ai suivi, c'est tout. Mon Sens.
...
Nous avons dansé, glissé, volé la Piste du Tango, de Piazza San Marco aux plages d'Argentine,
Nous nous sommes échoués sur la Baie des Anges, enlacés,
Il m'a bâti un château de glace sur les flancs de l'Himalaya, il y faisait doux, il y faisait chaud,
Il a réinventé Syracuse, ses pierres, ses airs, mille orchestres,
Il a fermé des volets verts et nous nous sommes réveillés à Shanghai, Shanghai !, enivrés comme par l'opium,
Il a invité la pluie, son odeur, sa terre, elle nous a captivés, elle nous a embrassés, elle nous a emportés et ce fut la forêt. Noire. Propice. Envoûtante. Excentrique,
Il a serti mes jours de musique — baroque, latine, kitsch—, de sa musique aussi ...
Je n'ai pas hésité, j'étais émerveillée ... je me laissais guider comme si je n'avais jamais voyagé... je n'ai rien demandé non plus... rien sauf le Tango.
à Arte Miss
Type de document : correspondances
Auteur fictif : Capitaine L
Auteur réel : Carole Lipsyc
Provenance du texte : CL
Référence : "Orchidea" de J.B.
Commentaires : aucun
Textes satellites : aucun