un jour de printemps

Un jour de printemps, une petite fille perce-neige saisit un crayon. Perce-neige parce que, née du printemps sec et mat des strictes terres de l’est, elle avait pris l'habitude de briser les givres pour que jaillisse sa vitalité.

Quelques jours plus tôt — peut-être le jour de son anniversaire — elle avait trouvé un carnet dans un caniveau. N°7. L’écriture en était cryptée, comment l’aurait-elle déchiffrée ? Elle caressa le cuir brun. Le huma et, puisqu’elle ne pouvait pas le lire, la petite perce-neige saisit un crayon sans plume ni bille, un crayon avec mine, et recouvrit les feuillets du carnet de ses propres idées - palimpseste procedé.

Ce n'était pas son premier texte. Déjà quand elle ne savait pas écrire, elle écrivait. Dictant à sa fratrie, ses amis, sa famille, les mots qui la bousculaient, la hantaient, la portaient.

Le carnet n°7, elle l'a gardé. Dans une boîte, une boîte recyclée, convertie des chaussures aux secrets -remix procédé.

D’âge en âge, elle a empilé les cartons et dedans : les cahiers, les secrets, les dessins, les courriers, les photos, les télégrammes et les programmes, les papiers de cigarette gribouillés et les papiers de chewing-gum coloriés, les paquets de chips au vinaigre (vides) et les flacons d’après-rasage (vides aussi), les mots d’amour (pour renoncer) et les lettres d’adieu (pour recommencer). Le n°7, le carnet de poche relié en cuir brun, elle l’a oublié dans la deuxième boîte. Tout en bas de la pile. Dans un coin du grenier.

Puis, forcément, elle a grandi, elle a migré, d’Equateur en Australie, du Chili en Californie, d’Italie en Cimmérie. Elle a vogué. De quartiers en forêts, de volcans en bidonvilles, de sources chaudes en terres d’argiles. Elle a rencontré des p’tits gars, des grands bouddhas et même un roi. Elle a hiverné, cinq ou six années. Dans une transperçante solitude. Funambule du néant.


Type de document : chants des griots

Auteur fictif : Loula-Ludivine

Auteur réel : Carole Lipsyc

Provenance du texte : Noyau liminaire

Commentaires : aucun

Textes satellites : aucun

sortants

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des nouvelles de la police

Au 1er février 2004, le Haut Commissariat aux Affaires culturelles du XIU prît une décision qui fit date : tous les documents officiels devaient être typographiés dans la police de caractères « Times » de taille 14, et non plus en « Courier New » de taille 12 comme cela se faisait depuis des décennies.

Il est pour le moins étrange de constater qu’en parallèle les tenants de la Culture académique (qui la dénomment entre eux depuis bientôt un demi-siècle « contre-culture »), se sont entichés de la fonte Courier, celle-là même qui vient d’être abandonnée… Pas un site de l’internet sur la littérature électronique qui n’en fasse usage !

Or, déjà pointe en 2007, l’arrivée d’une autre police appelée à remplacer « Times », la « Calibri », digne progéniture issue de l’union consommée entre Times et Arial.

L’uniformisation du monde passe maintenant par le sérif avec des accents de « sans » … Titrage et corps de texte pourront être logés à la même enseigne. La mise en page est désormais régie par la feuille de style obligatoire. Tous les fondeurs indépendants ont d’ailleurs disparu. Aujourd’hui, fabriquer artisanalement une police de caractère constitue un acte de rébellion caractérisé ; nul ne peut conférer au texte une apparence qui n’ait pas été commercialement approuvée par le Consortium de la Lettre.

Enfin, n’oublions pas que l’objectif à terme, malgré une volonté officielle et affichée de respecter toutes les singularités linguistiques et culturelles, est de faire coexister uniquement trois polices de caractères dans le monde : une latine (la Calibri dans sa version anglo-saxonne), une chinoise et une arabe. Les autres langues du globe sont sommées de choisir l’une ou l’autre de ces polices.


Type de document : DJ's classes : le XIU

Auteur fictif : Anonyme

Auteur réel : Christophe Molinier

Provenance du texte : Participation

Commentaires : 1

Textes satellites : aucun

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