Quelle que soit la langue qu'il parle, quand un Cimmérien dit "je", il pense "je suis".
Car pour un Cimmérien, le préalable à la parole est la conscience et la conscience génère l'existence.
Dire "je suis" est donc - pour un Cimmérien - une tautologie orgueilleuse car qui peut dire "je suis celui qui suis" en dehors du "Grand Je" ? Du sujet qui est soi-même ? De l'ergo sum qui sum ? De l'ipsum esse. Du Récit lui-même.
Cette conception du "sujet" grammatical se répercute sur toute la construction de l'énoncé, le verbe ne pouvant plus jamais être verbe mais étant toujours un attribut : "je parle" devient "je suis le parler", "je sens" deviens "je suis le sentir", "je suis triste" devient "je suis le triste".
Glissement cohérent puisque les Cimmériens ont choisi de migrer sur les Terres manifestées pour faire l'expérience de la matière, de la sensation, des émotions.
La contrepartie de cette difficulté ontologique du Cimmérien à énoncer "je suis" peut donner lieu à des désordres de tout ordre et participe sans doute à la difficulté du Cimmérien à s'intégrer dans les jeux sociaux ainsi qu'à défendre ses intérêts.
Type de document : DJ's classes : études cimmériennes
Auteur fictif : Capitaine L
Auteur réel : Carole Lipsyc
Provenance du texte : Noyau liminaire
Commentaires : aucun
Textes satellites : aucun
Bonjour,
J’ai pu obtenir quelques informations par des amis Greffiers. Ils ne comprennent pas comment la protection de la Salle des Colonnes a cédé. Ils s’inquiètent pour les frontières de Numer. Ils œuvrent à tout rétablir au plus vite.
En ce qui me concerne, je ne vais pas m’en faire plus que ça. Ce n’est pas vraiment mon genre de tourner en rond dans des angoisses, tu le sais. Et en plus, visiblement rien d’essentiel n’a été révélé à mon sujet sur les colonnes : on sait maintenant que je m’appelais Perce-Neige quand j’étais enfant ? La belle affaire ! Et que j’ai des tâches de rousseur quand j'arpente Kiméria ? Très bien ! Et alors ? Cela ne dit rien de ma vie réelle ! Mon anonymat est sauf...
Pour Il Dottore, je ne suis pas du tout surprise. Il ne m’avait jamais dit clairement qu’il avait appartenu à l’Ordre des Joueurs — tu t’en doutes, il est plus que discret — mais j’avais vu une aquarelle de l’Etincelante dans son bureau ... je savais bien que ce bateau-là portait le saut des Nautes.
Non, le plus surprenant dans les révélations de la Salle des Colonnes, c’est l’histoire de Sgarideni. Ainsi, ce grand ennemi des Cimmériens et des Nomades est en fait l'un des nôtres... troublant... comme quoi... on ne hait finalement que soi-même...
J’ai croisé Anatole.
Voilà, maintenant, tu sais où je suis...
Là où souffle le vent, ma voile.
Capitaine.
à Arte Miss
Dimanche 16 mars