je déambule

Je déambule dans une ville de papier, sans façade ni profondeur. Mes lignes sont plates à embranchements multiples et elles se rejoignent toujours là où je suis. Je suis ici maintenant. Prioritairement maintenant. Tout est transparent et je n’ai plus besoin d’espionner pour voir et pour entendre.

Je suis ton chantre. J’ai abandonné l’espace pour m’adonner au temps. Délabrée, déguenillée, dérivée, j’ai choisi de dire les contes urbains en cette année première. Paris.

Et si je te confie l’acte d’écrire, ne me traite pas de couarde ni de fantôme. Ne me confonds pas non plus avec une muse binaire dont la fonction imaginaire serait de guider tes doigts sur le clavier.

Je suis ton chantre, celui de ton odyssée. Je célèbre les mots perdus à chaque fois que tes yeux oublient de s’arrêter et qu’ils défilent indifférents sur les scories du trottoir.

Et si je te confie l’art de m’écouter, ne me traite pas de despote prétentieuse. Ne me confonds pas non plus avec un instinct salutaire dont la fonction imaginaire serait de guider ton regard sur le papier.

Je suis ton chantre, celui de ton odyssée. Je célèbre le courage qu’il te faut à chaque fois que tes mains préfèrent, au bip ou au switch, le long froissement du papier qui dénude le recto et livre le verso.

Et si tu me confies la tâche de t’effeuiller, ne me traite pas de traître partial et amnésique. Ne me confonds pas non plus avec un démiurge bienveillant dont la fonction imaginaire serait d’orienter ton destin sur la trame.

Je suis ton chantre, celui de ton odyssée. Je rapporte tes hauts et tes bas faits, tes choix et conjectures. Je décris tes avancées et circonstances, toi, petit personnage d’encre liquide ou électronique.


Type de document : chants des griots

Auteur fictif : Loula-Ludivine

Auteur réel : Carole Lipsyc

Provenance du texte : Noyau liminaire

Commentaires : aucun

Textes satellites : aucun

sortants

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table brisée

"Entre les morceaux de la Table brisée pousse le poème et s'enracine le droit à la parole"

1. Comme je l’ai cherchée cette Table brisée dans mes initiations au Voyage, comme je l’ai languie. Sept années de silence et de contemplation. Hors langage. Hors pensée. Le plus loin possible. De la matière. Des notions d’espace, d’intérieur, d’extérieur. Il fallait s’extraire de toute relation possible au mot connu, à la parole, au signe. S’en remettre uniquement au ressenti. Ne dépendre que de la conscience, à des niveaux de plus en plus subtils. Une sensorialité abstraite qui aurait échappé aux terribles pièges de la séparation entre l’ontologique et le verbe.

Et de cet alors, comment rompre la solitude – douce trop douce? Comment rejoindre l’autre ?

Seul le poème, la métaphore, le trope. Autant de morceaux éparpillés de la Table brisée. Non comme le mal de Pandore mais comme la lumière de la création.

2. Si Moïse n’avait pas tardé, si le peuple n’avait pas douté, si Aaron n’avait pas cédé, si les premières tables n’avaient pas été brisées, alors "le mot eût été la chose" et le poème n’aurait pas existé. Que de vertus recèle l’erreur ...

"La violence du livre s’exerce contre le livre : une lutte sans merci. Ecrire serait peut-être épouser dans le verbe les imprévisibles phases de ce combat où Dieu qui est réserve insoupçonnée de forces agressives est l’indicible enjeu".

(remix Jabès)


Type de document : carnets personnels

Auteur fictif : Capitaine L

Auteur réel : Carole Lipsyc

Provenance du texte : Noyau liminaire

Référence : Edmond Jabès

Commentaires : aucun

Textes satellites : aucun

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