J’ai grandi dans la ville. Je n’aimais pas la campagne. Je craignais son ennui, son silence. Comme si les arbres allaient m’éloigner des bibliothèques et de la vie.
Mais j’ai entendu tes vocables issus de la terre, Neruda élémentaire. Etrange mélange volcanique de pluie, d’océan, de désert et de glace et j’ai pleuré. J’ai commencé à languir de ces montagnes lointaines qui ne m’appartenaient pas. Je me suis réapproprié la langue de mes ancêtres andalous qui n’avaient pas eu le droit de naviguer.
Tu m’as appris que les mots silice, limon, mélèze, caïman, nitrate, anaconda, toucan, fer, tronc, souche, maïs, cuivre, soufre, céréales , jungle, feldspath, insectes étaient des poèmes et que les adjectifs équinoxial, forestier, minéral, métallique, souterrain, germinal, caudal, pédiculé étaient des intonations.
J’ai parcouru alors, de mes pieds nus, les sentiers andins, les versants ensablés, les lagunes vertes et les plaines fangeuses pour arriver sans détour là où le verbe jaillit et meurt.
A Pablo Neruda
Type de document : correspondances
Auteur fictif : Capitaine L
Auteur réel : Carole Lipsyc
Provenance du texte : Noyau liminaire
Commentaires : aucun
Textes satellites : aucun
Loula : Capitaine.
Capitaine : comment m'as-tu trouvée ?
Loula : je ne t'ai pas trouvée, je suis là où j'étais.
Capitaine : à l'épicentre.
Loula : oui.
Capitaine : au point d'éruption, à l'impact.
Loula : tu l'avais enfoui si loin pourtant.
Capitaine : si bien.
Loula : il n'était plus qu'un mythe, une légende, une chimère.
Capitaine : n'est-ce pas.
Loula : il tintinnabulait entre les voyelles de ces vocables magiques...
Capitaine : Chiloe, Llovizna, Neruda, Santiago, Tveria, Ir Chalom, peut-être.
Loula : il n'existait plus.
Capitaine : était parmi mes disparus.
Loula : a ressuscité.
Capitaine : non.
Loula : non ?
Capitaine : il est image. Pixels sur un écran.
Loula : mot.
Capitaine : emails denses, innatendus.
Loula : et la joie ?
Capitaine : il n'y a pas de joie, il y a l'illusion.
Loula : la technologie.
Capitaine : une prothèse, un écart, une distance.
Loula : patience.
Capitaine : le plus terrible c'est que je ne le connais pas.
Loula : plus.
Capitaine : comme si je ne l'avais jamais connu.
Loula : il existe pourtant.
Capitaine : mais lui, celui qui existe là où je ne le rêve pas, qui est-il ?
Type de document : minutes des mémoires absolues
Auteur fictif : Les Greffiers
Auteur réel : Carole Lipsyc
Provenance du texte : Noyau liminaire
Commentaires : aucun
Textes satellites : aucun