vous me proposez

Vous me proposez de ralentir le temps, de vous rejoindre à Kiméria, dans votre domaine de Toscane, et d’y vivre une vie entière à vos côtés, en un seul voyage, dans le simple cillement d’un intervalle de réalité.

Mais, cher Dottore, mon ami, que nous resterait-il à vivre ensuite, dans nos prochains séjours ? Faudrait-il atteindre la fin? De nous, de vous, de moi.

Je le sais, les journées s’égrèneraient alors comme les vagues de la Méditerranée, éternellement semblables et différentes, douces et épicées. Goût salé du plaisir tranquille.

Dites-moi où je trouverais - après - la force de revenir au Monde, à mon siècle, à ma vie, à ma fille, à ce combat que je mène pour défendre la liberté d’exister en toute conscience dans les 3 Espaces.

Ne finirais-je pas par céder à la tentation kimérienne et à migrer ? Devenant moi-même un rêve, un récit, brisant le temps cyclique (un jour, un autre, le même) que je crée lors de mes voyages, m’aliénant aux rythmes de cet ailleurs onirique - si volatiles, si curieux, véritables sirènes - et provoquant une longue absence, aussi longue que la vie elle-même. Ce serait une désertion.

Votre temps naturel s’articule en réseau. Vous utilisez des points de jonction pour vous déplacer entre les époques et les espaces. Vous n’êtes pas soumis aux mêmes risques que moi. Vous m’apprendrez, dites-vous. Mais je n’ai jamais entendu, dans aucune rumeur, que quiconque l’eût appris. Le temps réticulaire est une aptitude, pas une initiation.

Au Dottore Pi


Type de document : correspondances

Auteur fictif : Capitaine L

Auteur réel : Carole Lipsyc

Provenance du texte : Noyau liminaire

Commentaires : aucun

Textes satellites : 1

de guingois

Devant moi, dans ce bistrot où je suspens quotidiennement le cours des événements jamais plus d'un quart d'heure, avant de regagner mon appartement, je remarque pour la première fois la fenêtre ouverte, qui bascule vers l'extérieur.

Il fait déjà nuit dehors, et les lumières du café se reflètent sur la vitre, mon visage aussi dans un même mouvement.

Bleuté, il se superpose aux contours brumeux de la rue, aux flâneurs qui viennent interrompre quelques instants la quiétude fixe des affiches s'imposant à mon regard.

La glace, légèrement poussée vers le dehors, déforme la perspective, mais ce pourrait être aussi bien moi qui suis de guingois.

J'existe dans ce reflet, et il n'existe que pour mon regard.

La patronne referme la fenêtre d'un mouvement sec, mon double virtuel a disparu.


Type de document : carnets personnels

Auteur fictif : Arte Miss

Auteur réel : poisson soluble

Provenance du texte : Participation

Commentaires : aucun

Textes satellites : aucun

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